Othée 1408
Contexte :
Au XV ième siècle, la guerre et son cortège macabre fait de viols, de saccages et de massacres va s’abattre par deux fois sur le pays de Liège. Les ducs de Bourgogne ont laissé un goût de sang et de cendre aux liégeois. La Principauté Ecclésiastique de Liège était un état indépendant et prospère, étendu du sud du Limbourg aux Ardennes, relevant du Saint Empire germanique. Sa position géographique la plaçait entre les possessions du Duc Jean de Bourgogne, de sa famille et de ses alliés de Bavière, situées au nord de la France, en Brabant, Flandre, Limbourg et la Bourgogne elle-même. Le Luxembourg ayant été acheté par le duc d’Orléans, frère du Roi de France, pour empêcher la réunion des deux états bourguignons, il fallait que la Principauté tomba dans la sphère d’influence du duc Jean de Bourgogne. L’occasion se présenta en 1389 à la mort du prince-évêque Arnould de Hornes. Après qu’un membre de la lignée de la Marck choisi par la voix du chapitre ait étrangement renoncé à la succession, le Pape de Rome (époque où un autre Pape se trouvait en Avignon) proposa opportunément Jean de Wittelsbach-Bavière, fils cadet du comte de Hainaut-Hollande, parent du duc Jean. Le futur 79 ième prince-évêque a seulement 17 ans et, vu son jeune âge, un délai lui est accordé pour prononcer ses vœux. Il portera le titre d’Elu de Liège. Mais Jean de Bavière se révèle frivole, hautain et dispendieux. Sa conduite fut d’abord tolérée puis griefs, rancœurs et surtout la manière ancien régime qu’il employait pour asseoir son pouvoir ont amené les liégeois à la révolte. Depuis 1316 et le traité de la « Paix de Fexhe » les bonnes villes du pays de Liège jouissaient de libertés acquises et d’un processus démocratique garantissant au Tiers-Etat des privilèges que l’Elu de Liège, en maître absolu, ne respectait en rien. Les rebelles sont appelés par les fidèles de Jean de Bavière, les « haidroits » parce qu’ils ne respectaient pas l’état de droit. La rébellion déposa le prince en 1406, lequel se réfugia à Maastricht, la seule ville de la Principauté qui lui soit restée fidèle car elle était également sous la souveraineté du duc de Brabant.
Les bourguignons et leurs alliés :
La bataille :
Durant toute l’année 1407, les hait-droits sont les maîtres en pays de Liège à l’exception de la ville de Maastricht où s’est réfugié Jean de Bavière. Par deux fois, les troupes rebelles mettront le siège devant la ville mais cette dernière résiste. La seconde fois, en été 1408, l’Elu parvient même à s’en échapper pour y revenir avec des reîtres allemands en renfort et du ravitaillement. Le territoire contrôlé par les hait-droits est encerclé. Jean de Bavière fait appel à son frère, Guillaume IV comte de Hainaut. Le secours demandé devient vite une affaire de famille. En effet, le duc Jean de Bourgogne est le beau-frère de Guillaume. Il s’agit même d’une double alliance, chacun d’entre eux ayant épousé leur sœur respective. Guillaume II de Namur, cousin de Jean de Bavière est sollicité également. Le duc de Bourgogne en situation délicate et tendue avec le Roi de France suite à l’assassinat qu’il a commandité du duc d’Orléans, frère du Roi, le 23 novembre 1407, ne pouvait intervenir dans l’immédiat. Mais en cet automne 1408, l’affrontement est inévitable. Les haidroits apprennent que les armées des trois princes campent à Montenaken, près de Tongres, non loin de Liège. Ce rassemblement comprenait environ 6500 hommes aguerris aux métiers des armes. Des chevaliers venus de Bourgogne, des vassaux français du duc Jean, des chevaliers de Hainaut, Namur et Flandre sont renforcés par des centaines de chevaliers liégeois exilés, des anciens de Nicopolis et des chevaliers mercenaires écossais. La troupe bourguignonne est formée de milices hainautoises et de gens de trait de Flandre et de Hainaut. Les haidroits ont nommé à leur tête Henri de Hornes, sire de Perwez. Il porte le titre de mambour par lequel il est à la fois régent et chef des armées. Son fils Thierry est le nouvel évêque béni par l’antipape d’Avignon. Le mambour peut compter sur environ 500 chevaliers, 4000 miliciens issus des milices liégeoises et hutoises ainsi que des bons métiers de Liège, 200 arbalétriers, 250 hommes de trait et 100 archers anglais recrutés auxquels s’ajoute la masse de la piétaille mal armée, mal protégée, ignorante des techniques de combat. Le tout atteint environ les 10000 factieux. En outre, il y a une méfiance du tiers Etat dont les représentants des 32 corporations de métiers, appelés les bons métiers constituent le noyau, envers les chevaliers issus de la noblesse. Henri de Hornes est conscient de la faiblesse de ses troupes. Il propose de disperser l’armée dans les villes de la région et de mener un guerre d’usure. Les hait-droits refusent et l’obligent à attaquer derechef. Le mambour pensait surprendre l’avant-garde bourguignonne, éloignée du gros de l’armée du duc, mais ce dernier avait pris conscience du danger grâce à ses espions et avait déjà rassemblé toutes ses forces. Le 23 septembre 1408 à Othée, les armées sont face à face. Les liégeois ont pris position sur une petite colline aménagée de défenses. Les fantassins au centre, cavaliers à l’aile gauche et archerie à droite. Le gonfanon de Saint-Lambert, l’équivalent de l’oriflamme de Saint-Denis est placé au centre. Il est censé protéger les troupes. En face, la fine fleur de la chevalerie avec sur leur droite les archers et arbalétriers. Après avoir adoubé quelques chevaliers et défilé avec le comte Guillaume devant l’armée en ordre de bataille, le duc ordonne à 400 chevaliers et 1000 hommes à pied un mouvement contournant. Henri de Hornes se rend compte de la manœuvre et il veut la contrer en lançant ses cavaliers. Mais ses propres hommes pensent qu’il veut fuir et l’obligent à rester sur place avec ses chevaliers. Le duc Jean charge en tête au cri de « Notre-dame au duc de Bourgogne ! ». C’est durant cette bataille et non à Nicopolis qu’il obtiendra le surnom de Jean sans peur. Le choc fut extrêmement violent, la mêlée horrible, le combat indécis. La réserve bourguignonne réussit le contournement et attaque l’arrière-garde liégeoise. Les troupes rebelles serrées de toutes parts se désorganisent et ne parviennent plus à se dégager au point même de ne plus pouvoir se servir de leurs armes. Nombreux sont ceux qui périrent étouffés et piétinés. La suite est un massacre ordonné par Jean de Bavière qui défendit de faire aucun quartier. Henri de Hornes, son fils , les principaux nobles haidroits et 6000 à 8000 hommes du bon peuple du pays de liège moururent au bout de deux heures de combat. Les alliés perdirent tout de même 1000 hommes dont 120 chevaliers.
Les haidroits ou hait-droits :
Conséquences :
La répression est féroce et cruelle. Jean de Bavière arrive le lendemain à Liège venant de Maastricht. Il fait supplicier puis exécuter les haitdroits ainsi que les familles nobles rebelles dont la veuve de Henri de Hornes. Toutes les chartes, franchises et libertés accordées à la cité de Liège sont supprimées. Les notables de la ville (baillis, prévôts, maires) sont désormais nommés par l’évêque. Le duc de Bourgogne épargna la ville du pillage mais elle dut payer une contrepartie de 220.000 écus d’or et dédommager la ville de Maastricht à hauteur de 60.000 couronnes.
Références :
Othée 1408, chronique d’un drame, Henri Defresne et Yves Charlier,
Comité des Fêtes d’Othée asbl, Liège 2008.
Remarquable ouvrage d’où sont tirés les blasons peints par Marcel Vergeylen.
https://wikipédia.org/wiki/Bataille_d’Othée
Les malheurs continuent :
En introduction, il est indiqué que le malheur s’abattit deux fois sur la Principauté. Aux mêmes causes, les mêmes effets. En 1456, le prince évêque Jean de Heinsberg qui avait succédé à Jean de Bavière est mis à l’écart. Philippe le Bon fit nommer à sa place par le Pape Calixte III, son neveu de 18 ans, Louis de Bourbon. Ce dernier continua ses études à l’Université de Louvain et donc de facto, Philippe le Bon régnait sur Liège. Lorsque Louis de Bourbon prit enfin ses fonctions, il fut immédiatement déposé. Il s’en suivit ce que les historiens ont nommé les Guerres de Liège, de 1465 à 1468. Charles le Téméraire, fils de Philippe le Bon, fut l’ange de la mort. Il y eut l’écrasante défaite de la bataille de Montenaken, le sac de la ville de Dinant avec 800 bourgeois jetés dans la Meuse, la bataille perdue de Brustem, la tentative folle et vaine des 600 franchimontois, le sac de Liège avec tous ses bâtiments détruits ou incendiés à l’exception des édifices religieux et finalement la confiscation de toutes les libertés dont leur symbole, le perron fut transféré à Bruges. Si vous voulez en apprendre plus sur ces trois rebellions, vous pouvez visiter le site de la « Verte Tente », http://vertetente.eu. La compagnie de la verte tente perpétue la vie de ces rebelles qui se réfugièrent dans les forêts profondes du pays de Liège d’où ils surgissaient pour s’attaquer aux Bourguignons.